La ligne bleue, le marathon, le défi

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Ecrit par Pierre Lepidi et illustré par des tableaux de Vincent Dogna, ce livre raconte le parcours d’un ancien coureur qui se lance comme défi de recourir un marathon. La ligne bleue, semblable à celle qui est tracée sur toutes les courses longues de 42,195 km, devient au fil des pages une alliée, une source d’inspiration et surtout un guide.

 Vincent Dogna, graphiste et peintre, et Pierre Lepidi, journaliste et écrivain, ont une passion commune pour la course à pied. Ils cumulent à eux deux des milliers de kilomètres, des centaines d’heures d’entraînement et une bonne trentaine de marathons aux quatre coins du monde. En publiant La ligne bleue, ils entendent montrer une autre vision de ce sport, dont la popularité et l’engouement ne sont plus à prouver. Associant peinture et littérature, ils provoquent dans ces pages l’émouvante rencontre entre le pinceau de l’un et la plume de l’autre.

 « Je tourne les pages de ce livre comme celles de ma vie avec délectation, et je continue de courir vers mon destin. » Dominique Chauvelier, Quatre titres de champion de France de marathon, préfacier de la Ligne bleue.

« Bravo pour l’hommage rendu dans ce magnifique ouvrage à cette ligne devenue idéale, où les mots choisis de Pierre Lepidi accompagnent des œuvres de grande qualité réalisées par Vincent Dogna. »  Joël Lainé, Directeur du marathon de Paris.

 

 EXTRAITS

 

I, Le défi

L’hiver semblait interminable. Bas et sombre, le ciel s’alourdissait de jour en jour, figeant mes projets, mes ambitions. En quelques années, ma vie avait pris une tournure que je détestais. Je me voyais m’enfoncer dans un quotidien monotone, un train-train dévastateur. Passif, j’étais devenu le spectateur d’une existence insipide, le prisonnier d’un cercle vicieux dans lequel je cherchais à diluer ma douleur dans des excès qui me faisaient à leur tour culpabiliser et rejaillir d’autres souffrances.

Rebondir, réagir, enrayer ce cycle infernal ? J’aurais aimé le faire mais les obstacles se dressaient toujours sur ma route et brisaient mon élan.

Dès que la nuit tombait, que le silence s’installait, les idées noires fusaient
et rebondissaient contre les murs de chez moi. Au fil du temps, le doute avait réussi à s’immiscer dans les moindres fissures de mon esprit. Mon spleen était devenu noir, glacial, angoissant, semblable à cette nuit de décembre. Comme tant d’autres, la journée avait été terne. Elle était maintenant finie, perdue. Vers minuit, le frigo était vide et le cendrier plein.

J’avais toujours pris soin d’éviter cette pochette bleue qui conservait précieusement mes anciens dossards. Elle appartenait à une autre vie. Je la croisais parfois, m’en détournais toujours. C’est un heureux hasard qui m’a poussé à l’ouvrir ce soir-là. Rotterdam, Prague, Athènes… Les dossards faisaient rejaillir en moi des souvenirs de coureur, des impressions de voyages, de courses, d’ambiances ! Je me revoyais franchir la majestueuse Porte de Brandebourg à l’arrivée du marathon de Berlin, j’entendais chanter Franck Sinatra sur le Pont Verrazzano au départ de l’épreuve de New-York… J’avais été un coureur, un marathonien, un de ceux qui a signé des victoires contre lui-même. Si j’étais fier d’avoir appartenu à cette caste, pourquoi en serais-je maintenant exclu ? Je réalisais alors que la vie m’avait éloigné de cette ligne bleue qui accompagne les coureurs d’un marathon du départ à l’arrivée. En traînant mes plaies à l’âme, je m’étais perdu, fourvoyé dans des voies sans issue. Il me fallait revenir vers cette ligne, la suivre, épouser chacun de ses contours.

Les dossards étaient éparpillés sur le sol du salon, un violent orage s’abattait sur la ville endormie. J’ai bu un dernier verre, fumé une cigarette avant de broyer d’une main mon paquet. Cette ligne bleue ? Je devais la retrouver, c’était un défi. Elle devait être mon guide, mon inspiration, le fil d’Ariane de mon retour à la vie.  Il fallait maintenant rebondir, renaître, prendre un nouveau départ.  Le lendemain matin, je suis donc parti.

 A l’aube, j’ai couru.

 

 

XI,  La palette de l’asphalte

On distingue toutes les couleurs, toutes les formes dans un peloton de marathoniens.
De loin ou de l’intérieur, il ressemble à une armée multicolore qui sautille sur place.
Derrière les ballons des meneurs d’allure, l’avancée des fantassins du bitume se fait en cadence. Reste à la suivre jusqu’à l’arrivée, au bout de cette aventure humaine où on ne doit laisser personne sur le bas-côté. Encourager l’un, motiver l’autre…

Au cœur de cette harmonieuse palette de l’asphalte, il y a de l’entraide et de la solidarité.
Certains étaient déguisés comme pour un carnaval, un jour de fête. Il y avait des bagnards, des Mickey, un garçon de café avec son plateau… Loin devant, il m’a semblé reconnaître Vincent avec sa casquette jaune ornée d’un Marsupilami.

Dans la cohue du départ, j’avais omis de regarder la ligne bleue que j’attendais depuis si longtemps. Au bout d’une dizaine de minutes, elle m’est apparue. Le fil d’Ariane passait parfois par le milieu de la route, avant d’obliquer franchement vers les trottoirs pour épouser les virages du tracé. On ne voyait qu’elle ! Illusion d’optique ou jeux de lumière ? Elle semblait recouverte d’une couche de vernis sur certaines portions. Une idée me frappa soudain l’esprit : mais pourquoi cette ligne était-elle finalement bleue ? J’envisageais alors toutes les hypothèses. Blanche, elle se serait confondue avec les passages piétons. Rouge ou verte, elle aurait posé problème aux coureurs daltoniens… Selon le règlement de l’IAAF, l’association internationale des fédérations d’athlétisme : “la ligne de mesurage des marathons doit être indiquée le long du parcours par une couleur distinctive qui ne puisse être confondue avec d’autres marquages.” Du coup dans le monde entier, les organisateurs de marathons ont choisi le bleu, un bleu plus ou moins clair mais en fin de compte toujours assez proche.

Dans une belle bousculade, j’ai pu attraper un verre d’eau au premier ravitaillement.
J’ai ensuite repris mon rythme et continué d’épouser la trajectoire de cette ligne.
A l’intérieur de mon défi, j’en avais créé un autre : faire en sorte qu’à chaque
foulée, la ligne reste toujours entre mes pieds. Autant que possible, je ne devais donc jamais la piétiner.

 

 

XVII,  Instant de Gloire

 

J’ai perdu la raison dans les derniers hectomètres. En un éclair, la fatigue accumulée au fil de la course a totalement disparu. Mes jambes s’emballaient toutes seules, mes pieds décollaient du sol : je volais vers l’arrivée ! La clameur de la foule me portait, et je me laissais bercer par les cris de ces milliers de gens que je ne connaissais pas. Mon objectif chronométrique était atteint. Il fallait maintenant profiter.

J’avais parcouru un long voyage intérieur au plus profond de moi. J’avais exploré de nouvelles contrées, des terres jusque-là inconnues pour y puiser des ressources mentales et physiques. Maintenant, je me devais d’apprécier ces derniers instants, juste avant de franchir l’arrivée. Je planais, me laissais submerger par une vague de bonheur qui envahissait mon corps de la tête aux pieds. Un courant violent venait de libérer une décharge de plaisir qui se propageait partout, gagnait mes cellules les unes après les autres. J’en avais des frissons ! Sur mes joues, des larmes de joie se mêlaient aux gouttes de sueur… Il restait 30 mètres. Je courais comme un fou, un fou bienheureux qui veut hurler son bonheur au monde entier !

Au terme de cette aventure humaine exceptionnelle, mon instant de gloire avait sonné. Comme des dizaines de milliers d’autres coureurs, j’ai franchi l’arrivée en levant les bras au ciel. Cent fois au cours des derniers mois j’avais rêvé de cette scène qui, jamais dans mon imagination, n’a atteint la dimension que la réalité lui a donnée… Submergé de plaisir, j’ai lancé ma dernière foulée. La ligne bleue s’arrêtait là, juste devant moi. Elle était coupée perpendiculairement par une autre ligne, blanche celle-ci. Derrière ce trait marquant l’arrivée, il y avait forcément de nouveaux objectifs, de nouveaux horizons. Lesquels ? Ils allaient se dessiner dans les prochains mois. La vie est une course à étapes. La vie est un marathon.

 

 

le site Art de la course

 

 

  

 

 

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Didier Carloz
Didier Carloz
14 années plus tôt

j’ai eu la chance de recevoir ce livre dédicacé par l’auteur. Je l’ai lu avec énormément de plaisir. Toutes les sensations du coureurs, toutes les émotions du marathonien sont simplement mais intensément retranscrites. L’écriture et la peinture, la plume et le pinceau offre une oeuvre pleine de justesse. Atypique et magnifique !
didier